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«Anatomie d’une chute»: histoire d’un couple passée au scalpel

4.5/5

Anatomie d’une chute, le quatrième long métrage de la réalisatrice française Justine Triet, Palme d’or au dernier Festival de Cannes, arrive dans nos salles. Un film brillant.

Il y a quelque chose de sec, de froid, de clinique dans le nouveau long métrage de Justine Triet. Dans le titre en premier lieu, dans l’œuvre ensuite. La réalisatrice le dit très bien elle-même: «Je souhaitais faire un film sur la défaite d’un couple. L’idée, c’était de raconter la chute d’un corps, de façon technique, d’en faire l’image de la chute du couple, d’une histoire d’amour.»


Sandra, Samuel et leur fils de onze ans, Daniel, vivent depuis un an loin de tout, à la montagne. Un jour, Samuel est retrouvé mort devant leur maison. Une enquête pour mort suspecte est ouverte. Sandra est inculpée malgré le doute: suicide ou homicide? Un an plus tard, Daniel assiste au procès de sa mère, véritable dissection du couple.


Anatomie d’une chute est un long métrage prenant, brillant, d’une précision pour ainsi dire chirurgicale. Tout n’y est cependant pas froid, glacial. Pensons à l’un des passages marquants du film: la scène de la dispute entre Sandra et Samuel. Elle est intense, violente, pleine d’une espèce de fièvre, d’une ardeur furieuse, extrême. Mais, il est vrai, elle sera froidement analysée, disséquée au sein du tribunal. Revenons-y d’ailleurs, au tribunal, penchons-nous sur le procès: c’est un autre passage marquant de cette œuvre cinématographique, un passage clé.


Sandra est écrivaine. Elle écrit essentiellement de l’autofiction: elle a coutume de mélanger, dans ses œuvres, réalité –éléments autobiographiques– et fiction. Quand le procureur s’appuie sur les textes de l’autrice pour donner plus de force à son réquisitoire (il va jusqu’à lire des passages d’un roman de Sandra au tribunal!), la situation n’est pas loin de devenir absurde, kafkaïenne.


Vincent, l’avocat de Sandra, l’avait prévenue: au moment du procès, on se moquera de la vérité, ou du moins, ce n’est pas elle qu’on cherchera en premier lieu. La question se pose effectivement: le procureur, inflexible, intraitable, arrogant, souhaite-t-il réellement établir les faits, ou cherche-t-il plutôt à écraser l’accusée, à la mettre en pièces, quitte à manquer de discernement, voire de rigueur dans sa démonstration, quitte à basculer dans l’aveuglement?


«Je ne l’ai pas tué», affirme catégoriquement Sandra face à son avocat. «Ce n’est pas la question», lui rétorque-t-il. Et il a raison: dans le cadre du procès, le but est autre: le procureur cherche à convaincre le jury qu’elle est coupable –que ce soit vrai ou non– et son avocat, qu’elle est innocente –là également, que ce soit vrai ou non.


Puisqu’il est aussi question de littérature, dans Analyse d’une chute, et puisqu’il est aussi question de procès, dans L’étranger d’Albert Camus, permettons-nous un petit crochet par ce roman du grand auteur français. L’avocat de Meursault, accusé d’avoir tué un homme, lance ces mots de façon péremptoire, des mots qui pourraient parfaitement s’appliquer au procès de Sandra: «Voilà l’image de ce procès: tout est vrai et rien n’est vrai.»


En définitive –sans rien dévoiler de l’intrigue–, c’est un témoignage tardif qui fera pencher la balance d’un côté plutôt que d’un autre, un témoignage décisif quant au verdict –nous n’en dirons pas plus. La vie d’un individu (l’accusée, Sandra), son destin ne tiennent qu’à un fil: ce témoignage ayant eu lieu in extremis, ayant très bien pu ne pas avoir lieu. Il y a de la contingence et de l’arbitraire dans ce procès, mais comme, peut-être, dans tous les procès.


Un mot sur le casting. Pour servir le brillant film de Justine Triet, des acteurs en grande forme. Mention particulière à Sandra Hüller (vue notamment dans Toni Erdmann et The Zone of Interest): elle est impériale dans le rôle de Sandra.


Alors, suicide ou homicide? Sandra, jugée coupable ou reconnue innocente? Pour le savoir, rendez-vous en salles. Le film sera dans les cinémas romands le 23 août.

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