«L’Étranger»: une belle adaptation d’un roman culte
- Raphael Fleury

- il y a 1 heure
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Note : 4/5
C’est un réalisateur de l’Hexagone, François Ozon, qui met en scène la nouvelle adaptation de L’Étranger, roman d’Albert Camus, chef-d’œuvre de la littérature française. Une belle réussite que ce long métrage dans un magnifique écrin noir et blanc.

Ce n’était pas chose facile de réussir à mettre en scène le roman d’Albert Camus. L’exercice était périlleux. Comment en effet rendre sur l’écran avec finesse, avec justesse la figure de Meursault, le personnage principal du récit, être en apparence insensible, incarnation de l’absurde (thème-clé dans l’œuvre camusienne, longuement traité par l’écrivain)?
Seuls un réalisateur et un acteur de grand talent pouvaient s’acquitter de cette tâche ardue. François Ozon allié avec Benjamin Voisin y sont parvenus.
Le premier propose, dans un sublime écrin noir et blanc, une adaptation fidèle de l’œuvre originelle. Par ce noir et blanc, l’écran de cinéma semble transpirer toute la sécheresse, toute l’aridité, toute la stérilité de l’univers absurde, d’une existence dénuée de sens.

Le second, qui incarne Meursault, donne avec intelligence une voix et un corps à cet univers absurde.
Le reste du casting est excellent lui aussi (notamment Rebecca Marder dans le rôle de Marie, la compagne de Meursault, ou Swann Arlaud dans celui de l’aumônier).
S’il n’est pas nécessaire d’avoir lu le livre de l’auteur français pour apprécier le film d’Ozon, c’est toutefois recommandé. Les personnes familières du bouquin et de la pensée de Camus saisiront certainement mieux les enjeux du film, apprécieront peut-être plus ce moment de cinéma.
Nous sommes à Alger, en 1938. Meursault, la trentaine, travaille dans un bureau. Cet homme sans histoire reçoit un télégramme: sa mère est décédée. Il se rend à son enterrement, où il ne manifeste aucune émotion, et, le lendemain, va voir au cinéma un film comique avec Marie, une collègue, joue au jeu de la séduction avec elle. Mais bientôt, sur une plage, sous un soleil écrasant, Meursault va commettre l’irréparable.
Une adaptation fidèle de l’œuvre originelle, disions-nous. Mais contrairement à ce qui est le cas dans le roman, ici on apprend très rapidement que Meursault est un meurtrier. «J’ai tué un Arabe», répond-il à un compagnon de cellule qui lui demande pourquoi il est là. Et s’il a tué un Arabe, c’est, dira-t-il lors de son procès, à cause du soleil —au moment d’appuyer sur la gâchette, il se trouvait sur une plage, au bord de la mer, et le soleil dardait ses rayons brûlants, terriblement brûlants…

On reconnaîtra avec joie certaines phrases tirées du livre, mises dans la bouche de l’un ou l’autre des personnages. C’est même tout un passage (la fin de la première partie du roman, pour être précis) qu’on entend par le biais de Meursault-Benjamin Voisin, en voix-off, passage qui se termine ainsi: «Alors, j’ai tiré encore quatre fois sur un corps inerte où les balles s’enfonçaient sans qu’il y parût. Et c’était comme quatre coups brefs que je frappais sur la porte du malheur.»
Meursault, jeune homme taciturne, renfermé, étranger aux événements, étranger à lui-même, à sa propre vie, indifférent à tout, ne se sentant concerné par à peu près rien, a scellé son destin en tirant ces coups de feu.

Il assiste à son procès avec une espèce de curiosité, parce qu’il n’a jamais eu l’occasion d’assister à un procès. Bien vite, l’ennui le gagne. Son complet détachement lui attire la réprobation générale.
Quant à nous, c’est avec curiosité, mais sans aucun ennui, au contraire avec un grand intérêt que nous suivons son procès, sa trajectoire, que nous nous penchons sur la vie de cet homme qui dit avoir tué à cause du soleil et qui, en tuant, écrit Camus, «[a] détruit l’équilibre du jour, le silence exceptionnel d’une plage où il [avait été] heureux.»
Pour aller plus loin :
La chronique Recto Verso qui s'intéresse au couple cinéma-littérature
L'interview du réalisateur François Ozon par Remy Dewarrat


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