«All that’s left of you»: souffrance et résilience en Palestine
- Raphael Fleury
- 12 oct.
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 19 oct.
Note : 4/5
Non contente d’avoir mis en scène All that’s left of you, Cherien Dabis, Américaine d’origine palestinienne, a aussi écrit le scénario du film et joue l’un des rôles principaux. Trois casquettes différentes pour une œuvre cinématographique indispensable.

Dans son troisième long métrage, Cherien Dabis, en nous plongeant au cœur de la Palestine et de son histoire, nous immerge du même coup, inévitablement, dans un récit de souffrance. Inévitablement, car depuis 1948 cette terre et ses habitants semblent être pétris de tourments.
Tout n’a certes pas commencé en 1948, mais 1948 est une date-clé. C’est à la fois l’année d’une grande joie — pour les Juifs —, et celle de la Nakba, la « catastrophe » — pour les Palestiniens : l’idéal sioniste triomphe par le biais de la création de l’État d’Israël ; la guerre israélo-arabe éclate ; des centaines de milliers de Palestiniens sont spoliés de leurs terres et de leurs biens, et contraints à l’exil.
En tournant un tel film, impossible donc de taire l’oppression, les humiliations et les privations de toutes sortes, d’occulter l’occupation, l’apartheid — bref, tout ce dont le peuple palestinien est victime depuis longtemps, tout ce que les autorités israéliennes lui infligent.
Mais le film de Cherien Dabis, plein de nuances, ne s’arrête pas à tout cela, il va plus loin, bien plus loin : il raconte aussi la résilience, la solidarité, l’altruisme. All that’s left of you aurait pu n’être que pesant, il est en réalité avant tout lumineux : il y a ces oranges si belles dans la plantation de Sharif à Jaffa, il y a l’humour délicieux de cet homme, il y a les rires des enfants et leur admirable vitalité, il y a la beauté de langue arabe, il y a encore la poésie et son insondable richesse, il y a enfin la magnifique humanité de tout un peuple que la propagande israélienne s’escrime depuis longtemps à diaboliser.

Dans cette émouvante saga familiale que constitue ce film, ce sont trois générations de Palestiniens qui évoluent sous nos yeux.
Années 2020. Hanan, interprétée par Cherien Dabis, veut parler de son fils Noor. Mais pour qu’on comprenne bien qui il est, il lui faut commencer par parler du grand-père de cet adolescent. On fait ainsi un grand saut dans le temps, on rejoint cette année 1948 dont nous avons brièvement parlé. La réalisatrice reconstitue aussi fidèlement que possible cette époque où la Palestine était sous mandat britannique. Et puis se produit le bouleversement de la Nakba, symbolisé notamment par cette scène où l’on retire le drapeau britannique pour hisser le drapeau israélien.
Durant presque deux heures trente, Cherien Dabis nous raconte, au travers d’une mise en scène maîtrisée quoique très classique, l’histoire de Munira et Sharif, de Hanan et Salim, de Noor, d’autres encore. Nous ne dévoilerons rien de plus ici, le reste est à découvrir au cinéma.
All that’s left of you a deux ambassadeurs de tout premier plan : l’acteur espagnol Javier Bardem et l’acteur américain Mark Ruffalo sont les producteurs exécutifs du film de Cherien Dabis. On a pu les entendre et les voir se dresser contre la barbarie israélienne dans les médias et sur les réseaux sociaux — ils n’ont pas hésité à mettre en jeu leur carrière pour défendre une cause juste.
Ces instants sont déchirants : à l’heure où nous écrivons ces lignes, les Gazaouis connaissent les affres de la faim, vivent dans la peur, baignent dans l’horreur.
Un génocide a lieu.
Face à tout cela, face aussi à la scandaleuse inertie de nombreux gouvernements — à commencer par le nôtre, le gouvernement suisse, dépositaire des Conventions de Genève, pierre angulaire du droit international humanitaire —, des œuvres comme All that’s left of you sont indispensables.
Elles soufflent un vent de liberté, de paix et d’espoir.
Elles constituent une forme de résistance.
Elles témoignent pour un peuple qu’on cherche à réduire au silence à jamais.
Elles affirment, envers et contre tout, que la Palestine existe.
Nous espérons que le film de Cherien Dabis contribuera à secouer les consciences, à dessiller les yeux à tous ceux qui persistent dans l’erreur consistant à nourrir, d’une manière ou d’une autre, la haine — car la haine est une erreur, une grossière erreur, et elle l’est en toutes circonstances.
Dans cette critique de film, nous avons évoqué la poésie arabe. C’est avec elle que nous souhaiterions conclure. Et qui de mieux placé pour la représenter que le célèbre, que le grand et incontournable poète palestinien Mahmoud Darwich ? Avec lui nous ne pouvons qu’appeler de tous nos vœux, et c’est un cri du cœur :
« Paix sur la terre de Canaan,
terre de la gazelle
et du pourpre. »

