Pierre Monnard, le réalisateur des Enfants du Platzspitz, nous donne rendez-vous dans un café situé à la gare de Lausanne. Nous le rencontrons le mercredi soir 8 décembre. Une heure durant, nous discutons. De cinéma, bien entendu, mais pas exclusivement.
Un café à la gare de Lausanne en décembre. Nous sommes assis à une table. Un air glacial s’engouffre par les deux entrées du petit établissement, nous faisant frissonner. Et puis le voilà qui arrive, l’homme que nous attendions patiemment. À 17h tapantes. Ponctuel. Pierre Monnard, le réalisateur des Enfants du Platzspitz, se joint alors à nous.
Flashback
Faisons à l’instant un petit saut dans le temps, effectuons un flashback, souvenons-nous de l’année 2020 : Les Enfants du Platzspitz débarquait dans les salles suisses. Rarement notre pays avait été le berceau d’un tel film. Un uppercut. Une œuvre exceptionnelle. Un inestimable joyau cinématographique. Les Enfants du Platzspitz a été acclamé par la critique. Il a été élu meilleur film suisse 2020 par l’association suisse des journalistes cinématographiques (ASJC). Il a reçu cinq nominations au Prix du cinéma suisse (il est reparti avec un prix, le Quartz de la meilleure interprétation féminine pour Sarah Spale). Le long métrage a par ailleurs été remarqué en festival. Le jury de la troisième édition du festival Aventiclap lui a attribué le Marcus d’or du meilleur film. Le deuxième long métrage de Pierre Monnard a également reçu le Marcus des jeunes de la Broye. Et le public ? Il a pleinement répondu à l’appel : plus de 330'000 personnes l’ont vu au cinéma. Un succès amplement mérité.
Les Enfants du Platzspitz
À la fin des années 1980, un parc se trouvant non loin de la gare principale de Zurich est devenu le tristement célèbre rendez-vous des trafiquants de drogue et des toxicomanes : le Platzspitz. Ce sont jusqu’à 3000 personnes qui, quotidiennement, là-bas, achetaient et consommaient de la drogue. Certaines y vivaient même, dans des conditions épouvantables.
Inspiré du roman autobiographique – et éponyme – de Michelle Halbheer, le film Les Enfants du Platzspitz raconte l’histoire tragique et poignante d’une jeune fille de onze ans, Mia, et de sa mère toxicomane, Sandrine, qui, après la fermeture du Platzspitz, vont habiter dans une petite ville de l’Oberland zurichois ayant tout l’air d’un petit paradis. Mais en réalité, la descente aux enfers est loin d’être terminée.
Sarah Spale et Luna Mwezi incarnent respectivement Sandrine et Mia. Toutes deux livrent une performance méritant un concert d’éloges. On n’oubliera jamais sans doute ce morceau de musique chanté par la jeune fille en suisse-allemand, intitulé Ich gibe nöd uf. « Je n’abandonne pas. » Mia, soleil étincelant au sein d’un univers étouffant, astre précieux brillant de mille feux. Bin immer no da. « Je suis là, encore et toujours. »
Revenons au présent. Nous sommes à la fin de l’année 2021 et force est de constater que Les Enfants du Platzspitz n’a pas fini de faire parler de lui : la veille de notre rencontre, Pierre Monnard se trouvait dans le canton de Vaud, à Villars-sur-Ollon, pour présenter son œuvre. Une projection du film avait été organisée par l’association Villars Magic Ciné. Ce n’est pas tout: après avoir sillonné la Suisse, Les Enfants du Platzspitz a jeté l’ancre dans les salles allemandes et autrichiennes. Il s’y trouvait cet automne. Bref, le film poursuit sa route. Une fort belle route, un admirable parcours.
De nombreux projets
Que boire ? Dans le café lausannois où nous nous trouvons, Pierre Monnard hésite. Il souhaitait prendre une eau gazeuse, finalement il jette son dévolu sur une infusion à la menthe. On le comprend : il fait froid, des flocons de neige tombent sur la ville plongée dans la nuit. Nous discutons. De cinéma, bien entendu, mais pas exclusivement. La littérature s’invite à notre
table : Pierre Monnard aime beaucoup lire. Parmi ses auteurs préférés se trouve le Français Patrick Modiano, prix Nobel de littérature. Et Richard Yates, célèbre écrivain américain. Le cinéaste romand se verrait-il adapter l’un ou l’autre au cinéma ? lui demande-t-on. Le premier, non. Ce genre de littérature s’y prête difficilement, pense-t-il. Ce serait un exercice périlleux. Yates, c’est autre chose. Pierre Monnard s’anime, ses yeux semblent jeter des flammes. Il manifeste son admiration pour l’auteur américain, fait son éloge. Non seulement l’œuvre de Yates est magistrale, mais en plus elle se marie à merveille avec le septième art, assure Pierre Monnard. Revolutionary Road (Les Noces rebelles en français) n’en est-il pas le parfait exemple ? Ce long métrage de Sam Mendes (avec Kate Winslet et Leonardo Dicaprio) est magnifique, estime-t-il. Et il s’agit d’une adaptation d’un roman de Richard Yates.
Mais le réalisateur des Enfants du Platzspitz n’a pas l’intention de porter Yates à l’écran. Il a d’autres projets. De nombreux projets. Et des deux côtés de la Sarine. Même bien au-delà de nos frontières, à vrai dire. Pierre Monnard maîtrise, outre le français – sa langue maternelle –, le suisse-allemand et l’anglais. S’il vit dans le canton de Zurich depuis une vingtaine d’années, il est originaire de Châtel-Saint-Denis, village romand sis dans le canton de Fribourg. Et, après des études de Lettres à l’Université de Lausanne, il a rejoint la Bournemouth Film School, en Angleterre. Polyglotte donc, et c’est un atout indéniable dans un pays comme la Suisse.
Ainsi, Pierre Monnard a des projets dans différentes langues. Pour l’un d’entre eux (un long métrage en suisse-allemand), il retrouverait une bonne partie de l’équipe des Enfants du Platzspitz, notamment le scénariste André Küttel et l’actrice jouant le rôle de la toxicomane, Sarah Spale, qui jouerait ici le rôle de l’inventrice de Betty Bossi. Le cinéaste romand devrait par ailleurs tourner en anglais aux États-Unis pour un autre projet. Nous n’en saurons pas plus pour le moment.
Les séries Neumatt et Hors-Saison
Du côté des séries, Neumatt est la dernière création de Pierre Monnard. Cette fiction en huit épisodes, diffusée cet automne, est disponible à présent gratuitement sur Play Suisse, la plateforme de streaming de la société suisse de radio et de télévision SRG SSR. Le synopsis ? Un appartement branché et un job de consultant bien payé : Michi aime sa vie à Zurich. Mais un appel va tout bouleverser. Son père s’est suicidé et laisse derrière lui une ferme criblée de dettes.
L’infatigable cinéaste romand nous confie qu’il passe beaucoup de temps à Genève en ce moment, pour la phase finale de Hors-Saison. Hors-Saison ? Un polar, une coproduction franco-suisse, une mini-série en six épisodes de 52 minutes tournée entre le printemps et l’été 2021, et qui sera diffusée en mars 2022. Le montage a été très rapide: six semaines (une semaine par épisode). Le résultat sera donc à voir l’année prochaine sur le petit écran. De quoi s’agit-il? Les Cimes, petite station de ski dans la région des Dents du Midi. C'est la fin de saison, les vacanciers s’en vont, la neige fond… et dévoile l’horreur au grand jour : le cadavre d’une femme assassinée dans une mise en scène intrigante et macabre. C’est la capitaine suisse Sterenn Peiry qui est chargée de l’affaire, bientôt épaulée par l'enquêteur français Lyes Bouaouni qui lui révèle qu’un autre corps a été retrouvé dans un état similaire de l’autre côté de la frontière. Alors que le mystère s'épaissit, l'enquêtrice découvre que son fils a accidentellement tué sa petite amie en voiture. La vie de Sterenn bascule : jusqu'où ira-t-elle pour protéger son fils?
L’heure tourne. Les tasses sont vides à présent. Il est temps de prendre congé de Pierre Monnard. Nous faisons quelques pas ensemble dans la ville de Lausanne. Nos routes se séparent dans la rue du Petit-Chêne, aux abords du cinéma Pathé Les Galeries. Le cinéaste romand s’évanouit dans la nuit.
Photo : © Simon Michel
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