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Coup de projecteur sur les 57es Journées de Soleure

Dernière mise à jour : 11 avr. 2022

Rendez-vous incontournable du septième art en Suisse, les 57es Journées de Soleure ont eu lieu dans la ville baroque du 19 au 26 janvier. Huit jours consacrés au cinéma suisse. Nous y étions. Reportage.



Les Journées de Soleure se déroulent dans un écrin sublime: la vieille ville de Soleure –et ses alentours. Nous arrivons au festival par le sud. Nous empruntons le Wengibrücke. Au milieu du pont qui enjambe l’Aar, nous nous arrêtons quelques instants pour apprécier à sa juste valeur ce qui nous est donné à voir ; le tableau est magnifique: d’inoffensifs nuages se détachent sur un ciel bleu, le soleil, à l’ouest, a déjà bien entamé sa descente, ses rayons semblent napper d’un glaçage de miel le Landhaus et l’enfilade de bâtiments bordant la rivière.


Nous nous remettons en route. Nous voici de l’autre côté du Wengibrücke, aux abords immédiats de la vieille ville soleuroise. Nous marchons sur le quai menant au Landhaus. Malgré le froid – l’hiver bat son plein –, un certain nombre de personnes profitent des terrasses aménagées ici, sur le Landhausquai que se disputent le Café-Bar-Lounge Solaare, le Red John Irish Pub, le Restaurant Chutz ou encore le Café & Bar Barock.



Le cœur du festival


Nous pénétrons dans Le Landhaus. Ce bâtiment historique qui a littéralement les pieds dans l’Aar servait jadis de point d’amarrage pour le transport du vin. Il date du XVIIIème siècle (le Landhaus ayant été détruit par un incendie en 1955, l’extérieur du bâtiment fut reconstruit, à l’identique, en 1958).


Aujourd’hui, durant huit jours au mois de janvier, Le Landhaus célèbre le septième art; il est le cœur des Journées de Soleure. Au rez-de-chaussée, on y trouve notamment le ticket desk, le bureau d’accréditation ainsi qu’un petit bar. À l’étage, des films sont projetés. C’est là que nous y voyons notre premier film de cette édition 2022 des Journées de Soleure


Les films en lice pour le Prix de Soleure


Nous avons décidé de nous focaliser, durant ces 57es Journées de Soleure, sur les longs métrages en lice pour le Prix de Soleure – la compétition principale. Il y en avait huit. Nous les avons tous vus. Nous vous parlons ici de deux d’entre eux que nous avons trouvés particulièrement intéressants. Deux documentaires. Tous deux réalisés par des femmes.


(Im)mortels

Documentaire, 88 minutes, en lice pour le Prix de Soleure

Réalisé par Lila Ribi


Gros plan sur un crâne humain. Ainsi débute (Im)mortels, le nouveau documentaire de Lila Ribi. Les plans suivants ne sont, eux, pas moins funestes: ils sont composés de nombreux crânes humains. D’emblée, le ton est donné. Il y aura d’autres images de cet ordre-là : cadavre humain, corps humain se consumant dans un four crématoire, cercueil, etc.

Tout cela est-il le signe d’un goût douteux, d’une obsession malsaine chez la jeune réalisatrice vaudoise ? Absolument pas, c’est même tout le contraire. Si Lila Ribi reconnaît qu’elle a une ''passion'' (le mot sort de sa bouche) pour la mort, ce n’est non pas pour lui vouer un sombre culte, mais au contraire pour, en s’y confrontant, en s’attardant sur elle, en revenant à elle encore et encore, tenter de la comprendre, de l’apprivoiser, de se familiariser avec elle, de s’y préparer. Se préparer à la mort ? Oui, car, l’aurait-on oublié, la mort est un passage obligé pour chacun d’entre nous : nous sommes des êtres vivants, or tout être vivant est mortel. Se préparer à la mort paraît donc fondamental.


Lila Ribi a pris le parti, avec son documentaire, d’aborder frontalement la mort – et c’est tout à son honneur –, quand la plupart d’entre nous choisissent de faire l’autruche, de se voiler la face, en un mot, de fuir. La mort, sujet essentiel parce que – répétons-le – il nous concerne tous sans exception, est aussi, est toujours à l’heure qu’il est, malheureusement, un sujet tabou dans notre société.


Une certaine Antiquité voyait la philosophie comme un art de vivre, un véritable art de vivre, et – ce qui va de pair – de mourir – c’est ce que Montaigne avait d’ailleurs rappelé au XVIème siècle, dans un chapitre de ses Essais intitulé fort à propos « Que Philosopher, c’est apprendre à

mourir ». De nombreuses spiritualités vont dans ce sens-là : en substance, elles disent que la vie est, en quelque sorte, une longue préparation à la mort. La cinéaste quarantenaire s’inscrit dans cela, c’est ce qu’on peut constater en regardant son documentaire.

Lila Ribi apparaît dans son œuvre cinématographique, on la voit, on entend sa voix. Force est de constater que la jeune femme est rayonnante, et sa voix, comme une agréable mélodie. C’est manifeste : la cinéaste aime la vie. En se penchant sur la mort, c’est à sa dimension sacrée qu’elle s’intéresse ; loin de rechercher le chaos, c’est l’harmonie qu’elle vise.


Que se passe-t-il après la mort ? Pour répondre à cette question qui se trouve au cœur de son film, Lila Ribi a lu un nombre considérable de livres, a rencontré et interviewé différentes personnes – un neurologue persuadé qu’il n’y a rien du tout après la mort ; un philosophe des sciences qui, lui, défend une tout autre position ; etc. Et puis la metteuse en scène a interrogé et filmé Greti, sa grand-mère, durant des années. Greti confie avoir été croyante, mais elle ne l’est plus, dit-elle face à la caméra de sa petite-fille : selon elle, les gens s’accrochent à la religion, à la croyance en un au-delà, essentiellement parce qu’ils ont peur. En vérité, elle pense qu’il n’y a rien après la mort. Et pourtant, ces entretiens avec la grand-mère de la cinéaste sont loin d’être pesants : l’humour de Greti, sa présence lumineuse chassent du long métrage toute morosité, lui apportent un souffle plein de vie, une exquise légèreté.


La quête personnelle – spirituelle, pourrait-on dire – de Lila Ribi la mènera à consommer un psychédélique. On dit des psychédéliques qu’ils peuvent faire vivre des expériences similaires à ce qu’on nomme expériences de mort imminente. La réalisatrice, sous l’emprise d’une substance psychotrope, a ainsi vécu une expérience marquante, puissante, bouleversante. Elle dit avoir ressenti un grand amour, elle a senti qu’elle faisait partie d’un tout.


Générique de fin. Tandis qu’il défile, une musique déploie ses ailes, une musique très belle, pleine de douceur, apaisante, délicate, aérienne, éthérée. Un instrument à cordes se mêle à une voix de femme qui chante en espagnol. Agua de estrellas. Que se passe-t-il après la mort ? Lila Ribi n’a bien évidemment pas pu répondre à cette question d’une manière catégorique: comment aurait-il pu en être autrement ? Nous sommes ici dans le domaine de la conviction personnelle. Cela dit, cette musique – Agua de estrellas – a les allures d’une réponse, d’une réponse lumineuse à souhait ; elle semble vouloir dire : nous ne savons certes pas ce qui arrive après la mort, mais ayons malgré tout l’audace d’être pleins de confiance en la vie. Oui, chantons la vie.


Rotzloch

Documentaire, 96 minutes, en lice pour le Prix de Soleure

Réalisé par Maja Tschumi


Ce sont de jeunes hommes, ils sont Afghans, Turcs ou Érythréens. Ce sont des réfugiés et ils sont les protagonistes de Rotzloch, le documentaire de Maja Tschumi, Bâloise trentenaire.

Rotzloch est le nom d’un village du canton de Nidwald. Là se trouve, au bord d’une carrière, un centre pour requérants d’asile. Une prison avec une porte ouverte, lance l’un des réfugiés.

Ils s'appellent Habibi, Mahir, Amir ou Issac, et s’expriment sur de nombreux sujets. Ils parlent des préjugés dont ils sont victimes, et s’offusquent: ce ne sont pas tous des délinquants, des terroristes. Un autre sujet occupe leur esprit, un sujet pour ainsi dire universel : l’amour et le sexe.


Amir, Turc, confie que sa première fois, c'était dans un bordel.


Mahir, Afghan, lui, raconte cette anecdote : un jour, il a dit à une jeune femme qu’il l’aimait. Elle lui a posé des questions. Il a dit qu’il était réfugié, qu’il ne gagnait pas d’argent, qu’il n’avait aucun passe-temps. Elle lui a dit qu’une relation entre eux était impossible. Il s’est alors promis qu’il ne dirait plus jamais ''je t’aime'' à une femme avant de s’être construit.


Issac, réfugié érythréen, de son côté, veut se rendre aux Pays-Bas. Son amour s’y trouve, il ne l’a plus vu depuis des années, ils ont uniquement des contacts par téléphone. Il ne pourra cependant pas quitter la Suisse, il lui faut un passeport, et pour cela il devrait joindre le gouvernement érythréen, or c’est impossible, il a précisément fui l’Érythrée en raison de son gouvernement, sa vie était en danger. Sa situation paraît donc inextricable.


Quant à Habibi, Afghan, il a une copine suisse. On les voit partager de beaux moments de complicité. Mais il y a également des tensions entre eux: on assiste à une scène où celles-ci ne sont pas loin de se muer en dispute. Cela dit, rien d’extraordinaire à proprement parler : la vie de couple, en somme.


Quatre jeunes hommes donc, qui partagent le statut de réfugié, mais qui ont des trajectoires différentes. Des histoires intéressantes, touchantes, émouvantes. Des désirs, des espoirs, des moments d’abattement, de désarroi, de détresse aussi.


Photo ©Raphael Fleury


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