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Mandibules

3/5

Quand l’absurde déploie ses ailes


Après Rubber, Au poste ! ou encore Le daim, voici Mandibules. Quentin Dupieux continue, ici, à exploiter le filon de l’absurde. Il confirme, s’il en était besoin, qu’il est le roi d’un cinéma excentrique, pour ne pas dire complètement barré. Mandibules, c’est le film dont la vedette est une mouche.


« On prend la valise, on fait la mission, on empoche les thunes, et c’est tout. Il faut pas chercher plus loin. » résume Manu, benêt aux longs cheveux portant une chemise fuchsia. Il est au volant d’une Mercedes aux plaques d’immatriculation vaudoises qu’il a volée il y a peu, et il parle à son ami Jean-Gab, non moins benêt. Formulées de cette manière, les choses paraissent extrêmement simples. Mais, on s’en doute, en réalité ce ne sera pas si simple.


À plusieurs reprises, les deux compères entendent du bruit provenant du coffre de la voiture, tandis qu’ils roulent. Une sorte de bourdonnement, de vrombissement.


Les deux amis arrêtent le véhicule et, après quelques instants d’hésitation, ouvrent le coffre. Qu’y trouvent-il ? Une mouche géante ! C’est embêtant, parce qu’ils devront mettre dans le coffre la valise qu’ils sont chargés d’aller chercher chez un certain Michel-Michel. Or la mouche prend toute la place. Que faire ? Libérer l’insecte ? Oui, la voilà, tout simplement, la solution ! Mais survient un nouveau problème : Manu a fermé le coffre avec violence, et, maintenant, il ne parvient plus à l’ouvrir.


Au terme d’une discussion aussi stupéfiante qu’hilarante, Manu et Jean-Gab décident qu’ils dresseront l’insecte dans le but, grâce à lui, de gagner de l’argent. La mouche leur rapportera gros, bien plus gros que la mission de Michel-Michel, pensent-ils. Voilà nos deux crétins, nos deux niais, nos deux sots, nos deux écervelés, voilà notre tandem de parfaits idiots engagés dans une folle aventure.


Une question se posera toutefois : Manu et Jean-Gab sont-ils vraiment aussi idiots que cela ? Et si l’idée de Jean-Gab, celle de dresser la mouche géante « pour se faire de l’oseille », était en réalité une idée de génie, une idée promise au succès ?


On pourrait qualifier le réalisateur de Mandibules de maître ès films mind-fuck, si on ne craignait pas d’être vulgaire ou réducteur. Il y a tout de même du vrai dans ce terme : mind-fuck. Oui, car l’œuvre de Dupieux est déroutante, déstabilisante, perturbante pour le moins. Elle constitue un véritable ovni dans le paysage cinématographique français, dans le paysage cinématographique tout court, en fait. On peut l’adorer, on peut la détester, mais difficile d'y rester indifférent.


Souvenons-nous par exemple du long métrage Rubber : c’était l’improbable histoire d’un pneu tueur. Absolument, un pneu tueur. C’était en 2010.


Une décennie plus tard, dans Mandibules, la vedette est une mouche. Non seulement la vedette, mais l’un des points forts du film. Oui, la mouche est une parfaite réussite. Elle existe bel et bien, c’est-à-dire physiquement, sous la forme d’une marionnette, et elle crève l’écran. « Il y a eu plusieurs moulages, dit Dupieux, pour arriver à la version qu’on voit dans le film, et un gros travail de sculpture pour fabriquer la mouche .» Une sculpture qui est donc devenue une marionnette, laquelle a pris vie grâce au marionnettiste David Chapman. « Nous avons ensuite animé les pattes de la mouche en numérique », ajoute Dupieux, qui n’est pas adepte du tout numérique (autrement dit, des images de synthèse). La mouche géante apparaissant à l’écran est donc, comme le dit le cinéaste français, « un mélange de très vieilles méthodes et de technologies très évoluées. »


Cela dit, une mouche ne saurait suffire à faire la réussite d’un film. Il en faut tout de même un peu plus. « Et, euh, du coup on fait quoi là, on va où? » demande Jean-Gab à un certain moment du film. Avant d’ajouter : « On est un peu revenus à la case départ, là. » C’est ce qu’on se dit, nous aussi, après avoir passé quelque temps avec Manu et Jean-Gab. On a la désagréable impression de s’enliser. À vrai dire, on se sent même presque mal à l’aise parfois, par exemple quand Agnès jouée par Adèle Exarchopoulos, la figure la plus connue du casting, célèbre actrice révélée en 2013 par le long métrage La Vie d’Adèle, d’Abdellatif Kechiche, hurle. Car oui, Agnès hurle, ou en tout cas parle fort. On nous dira que c’est voulu, que ça fait partie de son jeu, Agnès a eu un choc au cerveau, après un accident de ski, et, depuis lors, elle a un problème vocal. Hurler, parler fort fait donc partie de son jeu. Certes, mais toujours est-il que ce jeu-là nous hérisse, nous fait grincer des dents. Il y a quelque chose qui discorde, qui dissone, qui détonne. Bref, c’est plus agaçant que convaincant.


Nous sommes néanmoins d’avis que Mandibules vaut le détour : Dupieux est un réalisateur hors-norme, original, inventif, qui manie l’absurde habilement.

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